ANALYSE 1. La question reste posée alors que les élections battent leur plein sur le continent. Des chercheurs ont plongé dans l’histoire récente pour mieux comprendre.
Par Dramane Coulibaly* et Luc-Désiré Omgba** pour The conversation.com
Publié le 09/01/2020 à 10:50 | Le Point.fr
Dans les années 1970-1980, la quasi-totalité des pays d’Afrique étaient dirigés par des régimes autocratiques. Sous l’effet des bouleversements mondiaux des années 1990, certains sont devenus démocratiques, d’autres non. Paradoxalement, les pays affichant de bonnes performances démocratiques ne sont pas forcément ceux qui présentent de bonnes performances économiques. Sur la base de notre récente publication dans la revue internationale Oxford Economic Papers, nous proposons des pistes de compréhension de ce phénomène.
Pourquoi certains pays africains semblent-ils réussir leur transition démocratique (électorale) et d’autres non ?
Spécifiquement, l’étude montre que des diasporas plus importantes ont favorisé l’émergence, dans les pays d’origine, de sociétés civiles indépendantes qui ont ensuite joué un rôle déterminant dans les changements institutionnels et la démocratisation. En revanche, dans les pays présentant une diaspora moins importante et donc une société civile autonome inexistante, l’absence de contre-pouvoirs a permis aux dirigeants politiques en place de déterminer l’agenda des « transitions » et de bloquer de tels changements.
Les cas du Mali et du Cameroun illustrent ce constat auquel nous sommes parvenus en étudiant un échantillon de 47 pays africains. En effet, sur la période 1970-1980, ces deux pays affichaient des scores quasi similaires – respectivement – 7 et – 8 – à l’indice de démocratie Polity2, l’un des plus utilisés dans la littérature, dont l’échelle va de – 10 (monarchie héréditaire) à + 10 (démocratie consolidée). Aujourd’hui, le Mali affiche un score positif (+ 5) tandis que le Cameroun, même s’il a légèrement progressé, a toujours un score négatif (- 4). L’observation des données sur la migration révèle que le Mali comptait, en 1980, 2,3 fois plus de migrants vivant dans les pays de l’OCDE que le Cameroun. Ces derniers ont permis le développement au Mali d’une société civile autonome qui a joué un important rôle de contre-pouvoir lors de la transition démocratique des années 1990.
En effet, pendant la période d’autocratie des années 1970-1980, les émigrants maliens ont créé des associations transrégionales visant à mettre sur pied des œuvres de développement à destination de leur pays d’origine. La gestion de ces œuvres de développement, hors du contrôle des politiques du fait de leur grand nombre, a permis l’autonomisation et la mise sur pied d’organisations et de débats citoyens, à partir desquels a émergé une société civile indépendante. La vague de démocratisation des années 1990 a constitué une fenêtre d’opportunités pour cette société civile, déjà bien organisée : elle a pu exercer des contraintes suffisantes pour obtenir la chute du pouvoir autoritaire, qui a eu lieu en 1991.
Au Cameroun, en revanche, l’étroite population d’émigrants n’a pas permis le développement d’une telle société civile capable de jouer ce rôle de contre-pouvoir. Les dirigeants politiques en place ont donc pu déterminer l’agenda de la « transition » ; les changements institutionnels ont en conséquence été moins susceptibles de se produire durant cette vague de démocratisation.
Pourquoi la démocratie électorale qui s’est développée en Afrique n’assure-t-elle pas son développement économique ?
Depuis les années 1960, les performances économiques des pays africains sont principalement le reflet de l’importance des richesses en matières premières. Les transitions démocratiques n’ont pas modifié ce rapport de causalité. Des pays réalisant de bonnes performances démocratiques, à l’instar du Bénin ou du Sénégal, ont des niveaux d’indice de développement humain (IDH) inférieurs à ceux de certains pays dont les performances démocratiques sont relativement mauvaises, comme la Guinée équatoriale ou le Cameroun. L’explication réside dans l’exploitation du pétrole, présent dans les deux derniers pays cités, mais pas dans les deux premiers. On peut aisément en déduire que la récente découverte de pétrole au Sénégal pourrait ceteris paribus porter ce pays au même niveau de développement économique que la Guinée équatoriale ou le Cameroun.
De manière globale, les récents développements révèlent que l’Afrique subsaharienne devient la partie du monde la plus ancrée dans la pauvreté. En 1990, environ une personne sur les 7 personnes les plus pauvres du monde vivait en Afrique. En 2015, ce ratio est passé à 4 sur 7. Les projections de la Banque mondiale pour 2030 montrent que, cette année-là, toutes choses égales par ailleurs, près de 9 des 10 personnes les plus pauvres du monde vivront en Afrique subsaharienne.
La démocratie n’est donc pas synonyme de réussite économique. Au contraire, même : pour des États en construction, comme ceux d’Afrique, la démocratie électorale peut plutôt promouvoir la corruption, le clientélisme, voire la fragilisation de ces États. Il en résulte une mauvaise allocation des ressources vers les activités non productives, laquelle freine le développement économique.
source: Le point.fr
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